Dans ce jardin qu’on aimait

Note

Marie Vialle, déc. 2020

Cela fait quinze ans que je travaille avec Pascal Quignard.
Le Nom sur le bout de la langue. Triomphe du Temps. Princesse Vieille Reine. La Rive dans le noir.
Dans ce jardin qu’on aimait est notre cinquième pièce.
Pour ce roman, Pascal Quignard s’est inspiré de la vie de Simeon Peace Cheney, premier compositeur, cent ans avant Messiaen à avoir transcrit les chants d’oiseaux.
Lors de la naissance de sa fille Rosamund, Eva Rosalba sa femme meurt.
Simeon pendant une vingtaine d’années entretient le jardin de son épouse en souvenir d’elle.
Quand sa fille atteint l’âge où est morte sa mère, sa ressemblance et sa beauté sont telles que Simeon en est bouleversé. Il la chasse.
Il se retrouve seul et note tous les sons d’oiseaux qu’il entend venir pépier dans le jardin de sa cure. À sa mort, Rosamund publie à compte d’auteur le livre de son père Wood Notes Wild : Notes de la musique sauvage et fait ainsi découvrir son œuvre.

© photos : Jean-Louis Fernandez

La pièce met face à face une actrice et un acteur. Cette histoire d’amour est aussi une histoire de séduction.

J’ai poursuivi l’adaptation que Pascal Quignard et moi avions faite, en y insérant les récits d’écoute et les partitions d’oiseaux que j’ai extraits du livre de Simeon Peace Cheney . Ils seront interprétés par la fille tout au long de la pièce.
La résonance des deux textes permet aussi à Simeon Peace Cheney d’apparaitre autant dans son expérience radicale de solitude que dans la plénitude de sa disponibilité, de son ouverture et de son attention au monde.
Encore plus que la musique, c’est l’attention extrême portée aux sons, à l’observation innocente des oiseaux, de la nature, des saisons, des heures, des brins d’herbe, des gouttes d’eau, du monde lui-même qui m’a bouleversée et que je cherche à rendre sensible.

© photos : Jean-Louis Fernandez

L’artiste n’est pas au centre de la création, mais se retire au plus loin, au plus profond de sa solitude pour laisser le monde irradier, éclater de toute sa splendeur, de toute son intensité. Ce mouvement d’humilité et de radicalité me trouble et m’étonne.
Si Simon est dans le temps fixe et immobile du deuil, du jardin clos, et de l’écoute, sa fille, elle, est mobile et traverse les temps – celui du présent de l’adresse et celui flottant de la fiction – et les espaces, faisant des allers-retours entre le monde et le jardin clos. Rosemund, rejetée par son père, traversant ses propres chemins de solitude, ouvre, apporte au monde l’œuvre de son père. Prise par cette obsession, cette tâche – faire connaître à tout prix la musique de son père – elle se réinvente. Elle chante. Elle devient elle-même oiseau.

© photos : Jean-Louis Fernandez

Enfin, le père et la fille, au-delà de la violence de leur rapport, font œuvre commune.
Aux côtés de leurs échanges verbaux, un langage musical opère. Un langage d’oiseaux se crée, une partition s’invente, une écoute commune s’intensifie, une résonance se crée et laissent les chemins d’amours se poursuivre.
Even inanimate things have their music. Listen to the water dropping from a faucet into a bucket partially filled.
Même les choses inanimées ont leur musique. Veuillez prêter l’oreille à l’eau du robinet qui goutte dans le seau à demi plein. Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! Il n’y a pas que les oiseaux qui chantent !
Voilà ce qui m’importe.

Marie Vialle , décembre 2020

© photos : Jean-Louis Fernandez